Petite histoire du banquet et de la commensalité
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  • Description
  • Introduction

    Désuet, réservé aux grands évènements, le banquet est aujourd’hui un élément secondaire dans notre vie d’occidentaux. S’il marque encore les grands évènements de la vie sociale et religieuse, il a perdu de sa signification, notamment dans le monde politique et commerciale. On préfère souvent parler de repas, et pourtant, son organisation et ses composants sont très proches des banquets antiques ou médiévaux. Illustration des pratiques cultuelles de son époque, la commensalité a évolué au cours des civilisations, en se transformant en miroir de sa société et de ses préoccupations, tout en conservant une seule caractéristique : la convivialité.

     

    Définitions et historique

    Le banquet désigne un festin, pris collectivement, dans une ambiance conviviale, auquel s’ajoute un caractère rituel. Il existe en Grèce antique, sous le terme de symposium, qui se caractérise par plusieurs actions codifiées : manger, puis boire et enfin débattre ou se divertir.

    Ces repas, pris en commun et qu’on appelle aussi la commensalité, sont sans doute aussi anciens que l’Humanité. L’ethnologie laisse entrevoir la possibilité que les premiers hommes mangeaient ensemble autour du feu. Avec l’apparition des premiers villages, de la vie en communauté et de la religion, le banquet devient central dans les cultures du Proche-Orient. On profite des fêtes, des moments-clefs de la vie de la communauté, pour se réunir et échanger à travers un comité plus ou moins familier et important.

    La pratique se ritualise terriblement en Grèce antique. Codifiée, elle va séduire les élites « barbares », qui souhaitent imiter les habitudes hellénistiques lors de leur dernier voyage. De nombreuses tombes renfermaient des objets traditionnels du symposium.

    Le banquet évolue pour connaitre une nouvelle forme au Moyen-Âge. Toujours à l’initiative des aristocrates et des bourgeois, la tradition de recevoir des convives se développe. Le banquet est alors l’occasion de montrer sa richesse, son savoir-vivre, en enchaînant des plats aux produits nobles et recherchés (viandes, épices), entourés de musiciens, de jongleurs, de danseurs et de troubadours.

    A la Renaissance, de nombreux traités sur le bien recevoir apparaissent. Lancé en Italie, le concept va rapidement se répondre dans toutes les cours d’Europe et normalisée la pratique du banquet. Depuis, on utilise plutôt le terme de repas pour parler d’un festin, le banquet se limitant aux évènements religieux ou civils comme le mariage ou el baptême. La tradition n’a, cependant, rien perdu à son idée de partage et de convivialité. 

    La convivialité, qui dérive de convivium (repas en commun), est un terme né en 1875 dans la Physiologie du goût de Brillat-Savarin. Selon Jean-Pierre Corbeau, il désigne « le plaisir de vivre ensemble, de chercher des équilibres nécessaires à établir une bonne communication, un échange sincèrement amical autour d’une table. La convivialité correspond au processus par lequel on développe et assume son rôle de convive, ceci s’associant toujours au partage alimentaire, se superposant à la commensalité. »


    Symbolique du repas ensemble 

    Ces banquets ont une symbolique particulière. La nourriture est généralement associée au bonheur et à l’échange, comme le souligne l’Ecclésiaste (8,15) : « J’ai donc loué la joie, parce qu’il n’y a de bonheur pour l’homme sous le soleil qu’à manger et à boire et à se réjouir » ; et des plaisirs de la vie pour les épicuriens : « ede, bibe, lude ! Post mortem nulla voluptas » (mange, bois, joue ! après la mort nulle volupté).

    Au cours d’un banquet, on transmet le plaisir qu’on a à manger en partageant sa nourriture avec les autres. En offrant de sa culture, l’hôte échange avec son convive, il encourage le dialogue et la construction des idées. Voilà pourquoi le banquet est une des plus anciennes pratiques sociales humaines. En se codifiant, la commensalité va servir pour se distinguer : les hôtes vont prouver à leurs invités qu’ils connaissent les habitudes culturelles et sociologiques et qu’ils appartiennent bien à leurs groupes. Encore aujourd’hui, les aliments choisis illustrent son origine sociale.

     

    Les sources historiques

    Tradition très ancienne, souvent réservée ou impliquant les élites, le banquet est, de ce fait, assez bien documenté tout au cours de l’histoire.

    On en trouve la mention de banquet dans plusieurs livres majeurs, à commencer par la Bible. En punissant l’homme et l’obligeant à travailler pour se nourrir, mais aussi en l’encourageant à se multiplier et à se regrouper en une communauté, le livre introduit l’apparition logique du banquet. Plusieurs épisodes l’évoquent directement ou indirectement, et on peut rappeler son enjeu majeur dans le livre d’Esther, qui permet à la jeune reine de sauver le peuple juif. Au contraire, dans la Parabole du Grand Festin de saint Matthieu, le repas de noce sert d’image pour illustrer le message du christianisme. Enfin, l’une des commensalités bibliques la plus connue est bien évidemment la Cène, le dernier repas de Jésus.

    Dans la culture grecque, qui inondera les civilisations méditerranéennes, l’Odyssée mentionne déjà l’existence du banquet au cœur de la maisonnée, pour annoncer ou assister à un événement. Ainsi, Ulysse participe au banquet avant de réussir à tendre son arc et remporter la main de Pénélope.

    Zeus est également réputé dans l’Antiquité pour organiser de nombreux banquets, dont celui du mariage de Thétis et Pelée, durant lequel Pâris rendra un jugement à l’origine de la Guerre de Troie

    Les échanges d’idées et les débats durant ce repas sont au cœur de la réflexion philosophique de Platon dans le très fameux Banquet.  Après avoir mangé et bu, les convives argumentent tour à tour sur le thème de l’amour.

    Sujet social et culturel, les représentations de banquet ont forcément été centraux dans l’art européen, et ce depuis l’Antiquité. Sur différents supports, le festin est illustré dans la peinture, la sculpture, la mosaïque ou encore l’architecture.


    Ainsi, dans l’art étrusque, le banquet, directement inspiré par la culture grecque, est l’un des thèmes les plus représentés. On le retrouve sur des éléments architectoniques, des fresques funéraires, des céramiques ou encore des sarcophages. La tombe des Léopard, dans la nécropole des Monterozzi de Tarquina, en montre un très bel exemple.

    Au début du christianisme, on préfère illustrer le dernier repas du Christ, tandis qu’au Moyen-Âge, ce sont les peintures de scènes de repas qui se multiplient. De nos jours, la scène est toujours systématique immortalisée par au moins une photo. Les motivations restent cependant les mêmes : garder et/ou laisser un souvenir de l’événement.

    Le Synopsium grec

    Né en Grèce, le banquet n’est pas un simple repas axé sur la nourriture offerte. La cérémonie a pour vocation de confronter les idées et de nourrir le débat. Il répond à un rituel très précis et invariable.

    Arrivés au domicile de l’hôte, on enlève ses sandales, on se fait laver les pieds par un esclave puis on s’installe sur une banquette. Puis le repas, le deipnon (vers le coucher du soleil) ou le syndeipnon, débute. A l’issue de ce dernier, on se lève et le sol est nettoyé. La seconde partie prend ensuite la forme d’une beuverie, le potos ou sympotos, agrémentée par des chants ou des danses. Elle débute avec une libation ou une prière, et un maître de banquet est alors élu pour conseiller, entre autre, les esclaves sur les proportions de vins. L’alcool, dont les effets pour délier les langues sont connus, permet de stimuler la réflexion et l’esprit des protagonistes. Enfin le banquet se termine par un débat ou des jeux lorsque ne restent que les bouteilles sur les tables.

    On sait que les femmes et les enfants sont exclus des banquets, et qu’ils ne sont réservés qu’aux citoyens. C’est d’ailleurs l’occasion de faire avancer la discussion sur des sujets de société. Les dépenses du repas, généralement offert par l’hôte, peuvent parfois être partagées entre les participants.

    Ce modèle sera exporté chez les romains mais aussi chez les étrusques, qui vont l’adapter en choisissant de faire du banquet un thème central dans les représentations funéraires. On voit ainsi, sur ces fresques, des cérémonies où sont également présentes des femmes, des proches et leurs esclaves, installés autour d’une table dans un espace dédié au repas, que les romains appellent le triclinium. Ces scènes de banquet sont aussi notables dans la statuaire étrusque, avec ses sarcophages, et des bas-reliefs.

    Dans les tombes celtes, on retrouve des objets utilisés durant le banquet gréco-romain. De nombreuses analyses laissent entendre que la vaisselle avait contenu du vin, laissant entrevoir la possibilité que les objets avaient été disposés auprès du défunt, en souvenir d’un repas partagé.

    Le banquet médiéval

    Le banquet médiéval est beaucoup moins rituel, et le débat et la discussion disparaissent au profit du divertissement. On sait à partir des représentations que les aliments sont servis sur des tranches de pain épaisses, déposées sur un tranchoir en bois, en argent ou en or. Les tables, démontables pour pouvoir être déplacées de cour en cour, étaient recouvertes d’une nappe banche, ornée de fleurs et de brindilles, sur laquelle était disposés des écuelles, parfois partagées par deux convives, des gobelets et des pichets. La vaisselle en or, en argent ou en verre est très rare à l’époque, et quasiment absente de la table. Les plus riches, qui disposaient d’un couteau, pouvaient l’apporter pour le repas. La table de hôte, définie comme table d’honneur, était installée sur une estrade, au fond de la salle.

    A leur arrivée, les convives se lavent les mains, puis s’installent à table. Le service, très réglementé, débute. Chacun des membres du personnel, qu’on appelle officiers de bouche, a un rôle bien précis, allant du maître d’hôtel qui supervise le repas, au fruitier chargé de servir les prunes sèches et les noisettes en passant par l’échanson, qui coupe et sert le vin. Le repas est agrémenté par des musiciens, qui jouent mais indiquent aussi les changements de service. Le repas est centré autour des plats carnés et épicés. Les convives mangeant avec les trois premiers doigts de la main droite et s’essuient dans la longière, c’est à dire la nappe. Les serviteurs présentent à l’issue des plats des bassins et des serviettes pour permettre à leur maître de se nettoyer les mains et la bouche.

    Ces banquets sont parfois l’occasion de faire un vœu, selon une tradition païenne qui faisait jurer les participants autour du corps de l’animal qu’on s’apprêtait à partager. Ainsi, en 1454, à Lille, lorsque Philippe le Bon, duc de Bourgogne, déclare lors d’un banquet dit du faisan, qu’il ira délivrer Constantinople, occupée par les Turcs.

    Bien que dépourvu de caractères religieux, le banquet médiéval continue néanmoins à conserver un caractère rituel.

    Le Banquet renaissant 

    https://www.wikiart.org/en/sandro-botticelli/the-story-of-nastagio-degli-onesti-the-banquet-in-the-pine-forest-1483

    https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Władysław_Bakałowicz,_Renaissance_Banquet.jpg

    Née en Italie, la Renaissance bouscule les habitudes en vigueur, y compris celles du banquet. Il semblerait que ce nouveau type de commensalité naisse à Naples lors du mariage d’Hercule Ier d’Este et d’Éléonore d’Aragon en 1472. Sa magnificence se répand ensuite dans le nord de la péninsule, avant de gagner l’Europe.

    La période est marquée par de nombreux changements, notamment dans les plats mais aussi dans l’art du service. Plusieurs traités apparaissent à la Renaissance pour codifier les réceptions. En 1581, en Italie, La Trinciante, essai sur la découpe des aliments du nom du couteau utilisé, permet à l’hôte d’impressionner l’assemblée en réussissant à découper une viande. Pour décorer sa pièce, on peut se baser sur les principes dictés dans Il Libro di Cozina. Les tissus, aux couleurs variées, et la vaisselle sont choisis pour impressionner les convives.

    Le banquet est souvent précédé d’un palio, d’une course ou d’un jeu. Le repas est annoncé par un air de trompette ou de tambour. Une fois installés, les convives profitent de la vaisselle individuelle, qui apparaît au XVIe siècle. Sur la table, un nouvel aliment est au cœur de toutes les attentions : le sucre, dite la Poudre de Chypre, qu’on saupoudre sur tous les aliments, et plus particulièrement sur les desserts. Les plats à la mode ont des saveurs aigres-douces et épicées, obtenues grâce aux verjus, et les gibiers, qu’on accompagne de vins. Le repas pouvait comporter jusqu’à cent plats. Pour interrompre un service trop long, les musiciens jouent et chantent, et parfois des représentations de théâtre.

    Banquet basé sur le paraître, ce n’est qu’après la Révolution Française que la commensalité retrouvera une de ces composantes initiales, le débat politique. Aujourd’hui, le banquet, qu’on appelle désormais le repas, reste d’un des moments privilégiés pour pouvoir échanger. Le banquet, lui, a repris de son caractère rituel, en accompagnant les cérémonies de mariage.

    Conclusion

    Le banquet a beaucoup évolué au cours des siècles et des civilisations, perdant et reprenant son caractère rituel et social. Hérité des périodes médiévales et renaissantes, le repas a gardé aujourd’hui ses éléments de distinction, avec ses aliments nobles, ses décorations et son ambiance. Un temps centré sur le divertissement, le banquet a cependant réussi à redevenir un lieu de débat privilégié, que ce soit au cours des débats familiaux ou commerciaux. Les repas houleux mais conviviaux ont toujours de beaux jours devant eux !



    Sources

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Banquet

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Alimentation_en_Grèce_antique#Banquets

    http://www.inrap.fr/dossiers/Archeologie-du-Vin/Histoire-du-vin/Antiquite-Pratiques-funeraires#.WF02ZbF7TVo

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Convivialité

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Cena_Cypriani

    https://it.wikipedia.org/wiki/Banchetto

    http://www.pediatre-online.fr/acquisitions/notre-alimentation-est-culturelle-aspects-linguistiques-historiques-sociologiques/

    http://www.la-cour-des-saveurs.com/fr/content/15-deroulement-du-banquet-au-moyen-age


    Illustration: http://eduscol.education.fr/archives/lettres/lycee...

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